« Les adaptations conservent vivante la mémoire de Sherlock Holmes ! »
Président de la Société Sherlock Holmes de France, Thierry Saint-Joanis revient sur les innombrables adaptations et transpositions de Sherlock Holmes, qu’il a entrepris de dénombrer. L’aura du héros n’a jamais faibli.
Thierry Saint-Joanis a fondé en 1993 la Société Sherlock Holmes de France.Il anime un site internet où il recense patiemment toutes les adaptations et transpositions du héros créé par Sir Arthur Conan Doyle en 1887.
Interview de Pascal Paillardet Suivre le lien pour lire la version publiée le 04/05/2021 sur le site web de l'hebdomadaire La Vie
Pour le site de la SSHF, voici la version intégrale de cet entretien :
Pascal Paillardet - Quelles sont les raisons qui expliquent, selon vous, la popularité de Sherlock Holmes depuis sa création, en 1887 dans « Une étude en rouge » ?
Thierry Saint-Joanis - Les raisons sont nombreuses. Pour que la popularité existe, il faut au moins satisfaire à deux conditions élémentaires : être populaire et être popularisé. Les Aventures de Sherlock Holmes, ce sont de bonnes histoires, bien écrites, avec des héros aimables. L'auteur, Arthur Conan Doyle, sait raconter. Il n'invente peut-être rien, mais il maîtrise mieux que quiconque les codes de chaque genre littéraire. Il est excellent quand il prend la plume pour servir le récit historique (La Compagnie blanche pendant la guerre de Cent Ans, ou les exploits napoléoniens du hussard Gérard), l'aventure fantastique (Le Monde perdu du professeur Challenger), ou l'enquête policière à énigme et suspense. Avec Sherlock Holmes et le docteur Watson, il crée deux personnages parfaits. L'un est un génie, l'autre est un modèle. Ensemble, ils offrent le meilleur exemple de l'amitié. Tout le monde rêve d'avoir, pour la vie, un ami aussi fidèle que Holmes ou Watson. Et cela est crédible, à la portée de chaque lecteur, qu'il vive en Angleterre, en France ou au Japon, car ce duo universel n'a rien d'extraordinaire. Il ne s'agit pas de deux super-héros bénéficiant de pouvoirs surnaturels. On peut facilement s'identifier à l'un et à l'autre, prétendre à leurs qualités et partager leurs défauts. Sherlock Holmes est brillant ponctuellement quand il enquête, mais il est faillible, fragile et vulnérable dans son quotidien. Ancien militaire et médecin, John Watson est un homme de devoir et un soignant, mais il court les jupons et les cercles de jeu. Nobody's perfect ! Au service des victimes, ils font triompher la justice. Qui n'aiment pas ça ? Et tout va bien en cette fin du XIXe siècle, à Londres, capitale du monde, où la science et les découvertes rassurent. Au fil des soixante aventures de la saga holmésienne, le lecteur visite une époque où tous les espoirs sont encore permis. Ce n'est certes pas le paradis, mais ce sera, on le sait maintenant, la fin d'un monde dont on garde encore la nostalgie. Tout cela nous semble bel et bon.
Si le produit est de qualité, il faut le faire connaître au plus grand nombre. D'autres héros de la littérature valent bien Sherlock Holmes, mais ils sont moins connus. Ils n'ont pas eu la chance qu'on les montre au grand public. Et vers 1900, sortir un personnage d'un livre pour lui offrir une large visibilité, cela passe par la scène. Quand on vit sans le cinéma, la télévision ou l'Internet, on va au théâtre, le spectacle de divertissement le plus populaire.
Sherlock Holmes voit le jour une première fois en librairie en 1887, et une seconde en 1899 sur les planches new-yorkaises grâce au comédien William Gillette qui croit au potentiel du détective et obtient l'accord de Conan Doyle pour adapter, à sa manière, plusieurs nouvelles déjà publiées. Ce sera un triomphe en Amérique du Nord, puis dans tout l'Empire britannique, en France (dès 1907) et dans le reste de l'Europe. Pendant ces premières années du XXe siècle, la pièce sera jouée en tournée partout où on trouve un théâtre, aussi bien dans les métropoles que dans les petites villes. Qui n'a pas déjà vu et aimé Sherlock Holmes, assis sur un fauteuil d'orchestre, quand éclate la Grande Guerre en 1914 ?
« Vous l'avez vu au théâtre ? Venez le revoir au cinéma. »
Et si cette rencontre n'a pas eu lieu devant une troupe de comédiens, c'est peut-être déjà devant un écran de cinéma, car le septième art, en quête de sujets populaires, va exploiter le détective de Baker Street dès 1900. Bien avant l'apparition du parlant, vers 1926, la filmographie holmésienne atteint déjà un sommet en nombre de productions. Sherlock Holmes est partout. Celui des livres ? Pas toujours, mais son nom est aussi connu que celui de Napoléon ou de Jésus. Sa silhouette aussi, avec une panoplie qui doit autant à l'imagination de Conan Doyle qu'à ceux qui l'ont immortalisé sur scène ou à l'écran. Populaire et popularisé, Sherlock Holmes va survivre à son créateur (décédé en 1930) pour faire cavalier seul.
Pascal Paillardet - Son aura s’est-elle toujours maintenue, au fil des décennies, ou sa popularité a-t-elle subi des éclipses à certaines périodes ?
Thierry Saint-Joanis - Son aura n'a jamais faibli. Les livres se sont toujours bien vendus et se vendent encore très bien, traduits dans presque toutes les langues. Les Aventures de Sherlock Holmes, le premier recueil de nouvelles holmésiennes, et le roman Le Chien des Baskerville sont dans tous les classements des meilleures ventes du XXe siècle. Films de cinéma, adaptations théâtrales et fictions télévisées sont produits et programmés année après année dans le monde entier. Longtemps, notre connaissance s'est limitée à la production locale et à celle d'Hollywood, mais aujourd'hui, grâce à Internet, on découvre et constate qu'il y a eu du « Sherlock Holmes » partout, tout le temps.
Pascal Paillardet - Depuis le premier film muet américain, « Sherlock Holmes Baffled » en 1900, Sherlock Holmes a fait l’objet d’innombrables adaptations, au cinéma, à la télévision (en auriez-vous une estimation récente ?), en jeux de société, etc. Comment expliquez-vous cet attrait si particulier pour ce personnage ? Pourquoi inspire-t-il autant de créateurs issus de différents univers ?
Thierry Saint-Joanis - Depuis une trentaine d'années, en particulier, j'explore et liste toute la production des aventures de Sherlock Holmes pour les écrans. Grâce à un réseau international de correspondants membres de sociétés holmésiennes (il existe des centaines de clubs actifs) et aux archives de la presse du monde entier désormais accessibles via Internet, j'ai pu enrichir mon catalogue. Avec mon ami américain Howard Ostrom, notre récolte dépasse désormais les cinq mille adaptations. Nous avons entrepris la publication de cette liste, illustrée et commentée, dans une série d'ouvrages (la Cyclopædia Sherlock Holmes). Il a fallu découper la collection en volumes, couvrant une ou deux décennies, pour éviter d'imprimer un pavé de plusieurs milliers de pages en une seule fois.
Chaque jour, nous découvrons au moins une nouvelle entrée à ajouter à cette filmographie, qu'il s'agisse d'un film muet disparu, mais identifié grâce à la presse de l'époque, d'une émission de télévision oubliée car il n'en subsiste aucune trace enregistrée, ou d'une nouvelle série télé russe, chinoise ou japonaise, venue de zones géographiques et culturelles où nous avons longtemps cru, à tort, que le détective anglais victorien était inconnu.
Depuis la parution, en 2018, du premier tome qui présente une soixantaine de films produits pendant les années 1930, nos dernières trouvailles ont presque doublé ce chiffre. Et c'est ainsi de 1900 à aujourd'hui. Le filon semble inépuisable rendant toutes les filmographies antérieures définitivement obsolètes.
Le Guinness World Record accorde à Sherlock Holmes sa palme du « personnage le plus souvent adapté à l'écran » pour 254 films. C'est seulement la partie visible d'un iceberg.
Pourquoi autant d'images de notre détective préféré ? Parce qu'il fait partie de notre vie et de notre culture. Vous voulez symboliser la recherche ou l'investigation, vous utilisez le nom ou l'image de Sherlock Holmes. Votre cible a-t-elle lu les livres de Conan Doyle ? Vous n'avez pas à vous soucier de cela. Le personnage et le message qu'il véhicule sont connus et acceptés par tous. Un prochain livre de notre collection, dédié à l'utilisation de Sherlock Holmes dans la publicité, sera énorme. Depuis le début du XXe siècle, le détective permet de vendre tout et n'importe quoi dans le monde entier. Il est un gage d'efficacité et de qualité.
Devenu une référence, on le cite : la presse anglo-saxonne titre souvent n'importe quel sujet d'actualité d'une citation canonique, c'est-à-dire tirée des textes de Conan Doyle. Ça marche car les lecteurs possèdent les références.
A Hollywood, les générations de scénaristes élevés au lait holmésien se succèdent. Leurs maîtres leur ont cité Holmes en exemple et, quand ils deviennent productifs, comme un hommage aux maîtres ou une private joke destinées aux confrères, ils introduisent Sherlock Holmes dans leurs créations non-holmésiennes. C'est ainsi que Spock cite régulièrement Holmes dans Star Trek, que John Steed enquête avec un Sherlock Holmes dans un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir, que James West affronte le chien des Baskerville dans Les Mystères de l'ouest, etc.
En littérature, c'est pareil, de Maurice Leblanc, avec Arsène Lupin et son Herlock Sholmès, à Umberto Eco, avec Le Nom de la rose et son moine enquêteur Guillaume de Baskerville. Avez-vous remarqué que le romancier français Michel Houellebecq s'amuse à citer Holmes dans chacun de ses livres ?
Pascal Paillardet - Plusieurs adaptations ont contribué à « moderniser » le personnage (je pense notamment à « Sherlock », avec le comédien Benedict Cumberbatch). Ces démarches, même si elles s’éloignent des fameux ouvrages « canoniques », permettent-elles de faire découvrir des œuvres à de nouvelles générations ?
Thierry Saint-Joanis - Absolument. D'ailleurs, depuis la diffusion de la première saison de la série Sherlock, non seulement les ventes de livres de Conan Doyle (et les pastiches d'autres auteurs) ont augmenté, mais les clubs holmésiens du monde entier ont aussi vu leurs rangs s'enrichir d'une nouvelle vague composée des fans de la série en quête d'information sur l'œuvre originale. Ils ont fait baisser la moyenne d'âge de groupes où dominaient jusqu'alors les amateurs de Basil Rathbone (années 1940) et de Jeremy Brett (années 1980), et féminisé l'effectif, car la version moderne avec Cumberbatch plaît beaucoup aux femmes qui se sont elles-mêmes baptisées les « Baker Street Babes ».
Chaque nouveauté holmésienne, même si elle explore une facette inattendue et jamais imaginée par Conan Doyle, élargit le cercle des amateurs. Et ce sang frais, ces regards neufs ravivent la passion des anciens qui apprennent de ces rencontres en partageant leurs connaissances des textes originaux. Ce qui a eu lieu avec la série Cumberbatch s'est déjà produit par le passé avec d'autres adaptations (on l'a oublié), et c'est encore le cas aujourd'hui avec les plus récentes comme les aventures d'Enola Holmes, la sœur du détective, apparue sur Netflix à l'automne dernier. Même la récente série de science-fiction horrifique, intitulée Les Irréguliers de Baker Street, qui n'a rien d'holmésien si ce n'est l'utilisation des noms de quelques personnages, aura pour conséquence d'attirer un nouveau public chez Sherlock Holmes, voire dans les livres de Conan Doyle. Un effet de curiosité, certes, mais on peut faire confiance au talent de Sir Arthur pour fidéliser ces nouveaux venus. Ils vont se faire prendre comme d'autres par le passé.
Pascal Paillardet - Plus largement, dans la lignée de l’adage « Traduttore, traditore » (Traduire, c’est trahir), pensez-vous que ces adaptations rompent avec l’esprit originel de l’œuvre ? Plus largement, jusqu’à quel point peut-on se réapproprier une œuvre sans en trahir l’esprit ?
Thierry Saint-Joanis - Sherlock Holmes, c'est comme un palimpseste, un livre dont on aurait effacé quelques passages pour y écrire de nouvelles phrases. Il s’est transformé au fil du temps, à travers ses nouvelles interprétations superposées aux précédentes. C’est un personnage qui évolue constamment, et qui incarne aujourd’hui des idées et des valeurs parfois éloignées de celles de Sir Arthur Conan Doyle.
A chaque fois, le détective se réinvente, change de visage, de sexe, d’origine, de nationalité, de langue, de forme, de style vestimentaire, de vie. Mais il reste notre détective préféré, celui qui symbolise les valeurs positives offertes par son créateur dès sa première aventure.
Le principe d'adapter ou de pasticher l'original ne représente pas, selon moi, un problème. Ce qui peut déranger, c'est le talent de l'adaptateur ou du pasticheur. Il y a ceux qui savent le faire, et les autres. Tout n'est pas bon, mais tous les goûts existent et certains y trouve leur compte.
En revanche, si on parle de traduction, celle de la langue, du passage d'un texte écrit en anglais à une version en français, là, on peut se plaindre, car aucune édition dans la langue de Molière ne respecte les textes de Conan Doyle. En plus d'un siècle, personne n'a réussi ce qui semble élémentaire. Soit les faits et les événements originaux sont déformés ou effacés dans le texte français, soit on en ajoute en traduisant par erreur une adaptation américaine revue et corrigée, dès la première édition des textes de Conan Doyle, pour un lectorat anglophone mais pas britannique.
Un francophone qui veut savoir tout ce qu'il y a dans les aventures de Sherlock Holmes doit faire l'effort de les lire en anglais (en évitant l'« américain »). Pour déterminer le degré de fidélité d'une adaptation ou d'un pastiche, il faut d'abord connaître la version originale, mais elle n'existe toujours pas dans notre langue.
Pascal Paillardet - C’est à au dessinateur Sidney Paget, il me semble, que l’on doit le célèbre deerstalker porté par Sherlock. De même, la réplique « Elémentaire, mon cher Watson » n’apparaît pas dans les récits de Conan Doyle. Finalement, les « continuateurs » de Conan Doyle ne contribuent-ils pas tous, à leur manière, à façonner ce personnage populaire, à le « créer » ?
Thierry Saint-Joanis - On a écrit, et on écrira encore, des dizaines d'études « définitives » sur l'origine de la casquette de chasse modèle deerstalker, de la pipe calebasse ou de l'expression « élémentaire, mon cher Watson » dans l'univers de Sherlock Holmes. On peut en citer, mais gardons-nous de clore les débats sur ces sujets qui font le bonheur des réunions érudites de nos clubs.
L'important, c'est ce qui reste aujourd'hui visible et identifié, même si tout est apocryphe. Il faut s'y faire, Sherlock Holmes sans sa panoplie et ses répliques célèbres, ce n'est pas Sherlock Holmes. Le grand public ne reconnaîtra pas le héros s'il est seulement proposé vêtu d'un costume sombre et sobre, coiffé d'un haut-de-forme, fumant une cigarette et déclarant « The game's afoot » (ce que je m'amuse à traduire par « c'est parti, mon kiki »). C'est pourtant l'original créé par Conan Doyle.
Le « vrai », aujourd'hui, c'est une caricature qui porte un uniforme ridicule ayant le mérite de le rendre reconnaissable par le monde entier. Aurait-il pu faire une telle carrière sans cela ?
Pascal Paillardet - Quelles, sont vous, les adaptions les plus stimulantes, qu’elles soient « fidèles » ou non ?
Thierry Saint-Joanis - Si j'ai besoin d'une piqûre de rappel des livres, je vais visionner un épisode de la série anglaise des années 1994-1994 avec l'acteur Jeremy Brett. C'est une des adaptations les plus fidèles, même si elle n'est pas parfaite.
Si je veux me souvenir pourquoi il est agréable d'être holmésien, je me passe le film de Billy Wilder La Vie privée de Sherlock Holmes. Emotion garantie et je verserai ma larme de plaisir.
Si je risque d'oublier que Conan Doyle était un homme d'action et un sportif confirmé, je regarde un des deux films avec Robert Downey Jr et Jude Law, ceux où on prend soin de nous montrer que Sherlock Holmes, à l'image de son auteur, était aussi une force de la nature et un combattant réputé tout aussi à l'aise à pratiquer la boxe qu'un art martial dont il est un expert. Il y a de l'action dans la vie du détective et on oublie trop souvent de la mettre à l'écran.
Enfin, si j'ai envie qu'on me confirme que je pourrais aujourd'hui, au XXIe siècle, être moi aussi un Sherlock Holmes au quotidien, j'observe les trouvailles scénaristiques, transposant des situations victoriennes à notre époque, proposées par les auteurs de la série Sherlock, avec Benedict Cumberbatch, d'Elementary, avec Jonny Lee Miller, ou de quelques séries asiatiques récentes.
Pascal Paillardet - Quel acteur selon vous a été le plus proche du modèle originel ?
Thierry Saint-Joanis - Je n'en vois aucun, et c'est tant mieux, car cela m'offre le plaisir de découvrir, à chaque fois, une interprétation, et c'est ce que j'attends d'un comédien. Si une technologie cinématographique et une reconstitution en 3D permettent un jour de mettre en image un Sherlock Holmes copie de celui des textes de Conan Doyle, j'ai peur d'être déçu.
Ayant eu la chance de rencontrer Jeremy Brett, j'ai pour lui une tendresse particulière. J'apprécie son interprétation, mais sans le voir comme un sosie du héros. On a tous un Sherlock Holmes en tête quand on lit les livres et il est unique, personne d'autre ne le partage. Mon Sherlock Holmes est un mélange de personnes rencontrées sur les écrans et dans ma vie. Il a évolué au fil du temps.
Pascal Paillardet - Une question plus personnelle ! De quand date votre découverte de cette œuvre et votre passion pour Sherlock Holmes ? Quelles sont les spécificités du personnage ou de l’œuvre qui vous séduisent ?
Thierry Saint-Joanis - Contrairement à la majorité des holmésiens, ma passion n'est pas née en lisant un livre de Conan Doyle ni devant un film. Pis, ma première rencontre avec le livre fut manquée.
Le Chien des Baskerville était au programme du cours de français en classe de cinquième. Malheureusement, à l'époque, sans internet et le commerce en ligne, vivant loin d'une grande ville commerçante, je n'ai pas pu acheter un exemplaire. Ne l'ayant pas lu, j'ai eu zéro au test final ce qui m'a alors vacciné contre Conan Doyle.
A la même époque, j'ai vu les films avec Basil Rathbone à la télévision, sans que cela éveille ma curiosité pour le héros. C'est seulement à vingt ans, à l'université, lors d'un cours de paléographie pour mes études d'Histoire, qu'un camarade m'a comparé à Sherlock Holmes pour me féliciter d'avoir déchiffrer brillamment un parchemin médiéval. Je n'ai pas compris la référence, j'ai supposé une moquerie et m'en suis plaint. J'apprends alors que Holmes, dans Le Chien des Baskerville, fait « aussi bien que moi » sur un texte ancien. Intrigué, je file acheter l'intégrale Sherlock Holmes aux éditions Bouquins, je lis tout et j'ai la révélation : ce gars est comme moi. Ou l'inverse. Il avait des méthodes d'investigation qui m'ont semblé familières. Je les ai compilées, analysées, imitées et adaptées à mes besoins. D'abord sur des recherches en généalogie, par exemple, puis en journalisme quand j'ai choisi cette voie.
Au Centre de formation des journalistes, j'ai appris le métier et j'ai commencé à tester mes méthodes « à la manière de Sherlock Holmes ». Bingo ! Ça marchait tellement bien qu'après trois ans au service d'un quotidien régional, je suis revenu au CFJ pour partager ma méthode d'investigation, l'enseignant à mes confrères, illustrant ces cours de citations holmésiennes. Bizarre mais efficace.
J'ai ensuite rencontré un journaliste du Monde (Jean-Pierre Cagnat) qui venait de faire le tour de la planète des clubs holmésiens. Grâce à lui, j'ai découvert qu'il y avait des gens comme moi à Londres, à New York, à Tokyo, etc. Pour combler un vide, nous avons alors créé une société Sherlock Holmes en France et depuis 1993, je pratique l'holmésologie à la ville comme à la scène.
Après les méthodes d'investigation, j'ai découvert et apprécié l'œuvre, l'auteur, leurs fans et toutes les adaptations. Bonnes ou mauvaises, fidèles ou iconoclastes, toutes conservent vivante la mémoire de Sherlock Holmes et de Conan Doyle. Ce qui compte, ce n'est pas ce qu'on en dira ou comment on le dira, mais tout simplement qu'on en parle encore et toujours.
Sherlock Holmes, Arsène Lupin, Tarzan, Bob Morane… Jusqu’à quel point peut-on redonner du sang neuf à des personnages populaires, parfois en les transposant à notre époque, sans les trahir ?
Interview très intéressante. Votre boulot de "recensement" m'impressionnera toujours. Et la photo avec Jeremy Brett est géniale au passage!