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Sherlock Holmes dans la coulisse

Photo du rédacteur: Thierry Saint-JoanisThierry Saint-Joanis

Par Jean-Claude Mornard (illustration de Lysander)



(d'après un chapitre de "James Olliver Babcock, his life and time", de David Pelham, Ed. "Second Stain, 1982" , biographie de ce comédien un peu oublié de nos jours)

Chapitre Premier

Dans Baker Street, malgré l'heure tardive, le trafic était encore fort important.

A tel point que j'abandonnai mon fiacre au coin de la rue, certain d'être plus vite rendu à pied.

Les trottoirs étaient encombrés de chalands et de nombreux Cabs sillonnaient la rue, roulant à pas d'homme.

Soudain, comme l'un d'eux passait à ma hauteur, je me sentis violement poussé dans le dos et m'étalai de tout mon long juste devant les sabots du cheval !

Le cocher fit faire un brusque écart à son attelage qui s'en alla percuter un étal de fruits et légumes.

Des gens s'empressèrent autour de moi et l'on m'aida à me relever.

Manifestement, je n'avais rien de cassé,ce qui tenait du miracle !

Le cocher, quant à lui, semblait au désespoir.

- Vraiment Gov'nor, je vous assure que ce n'est pas de ma faute.Dire que j'aurais pu vous écrabouiller comme une crêpe ! Jamais ma femme ne m'aurait pardonné... Sans parler de mon patron ! Ils m'auraient encore accusé d'avoir trop bu de cet excellent whisky d'Irlande dont je n'use que pour me réchauffer ou me remonter le moral.

Je rassurais le pauvre bougre tout en scrutant la foule à la recherche de mon mystérieux agresseur.Tout s'était passé très vite et j'avais à peine eu le temps d'entrevoir, du coin de l'oeil, une vague silhouette surmontée d'un chapeau melon.

Vous parlez d'une description ! Au moins vingt personnes dans l'assistance pouvaient y correspondre !

Une brave dame me demanda s'il ne fallait pas faire quérir un médecin mais je déclinais la proposition et me remis en route.

Ainsi, la lettre disait vrai: Quelqu'un cherchait à me tuer !

Arrivé devant la porte du 221b, je sonnais et une dame imposante, âgée d'une soixantaine d'années, vint ouvrir.

Après que je me fus présenté et demandé à voir Sherlock Holmes, elle me guida jusqu'au premier étage et m'introduisit dans un petit salon où se tenaient deux gentlemen curieusement occupés.

Le plus grand des deux - en qui je reconnus immédiatement Holmes grâce aux dessins de Mr Sidney Paget - était penché sur une table encombrée de cornues et d'éprouvettes.

Apparement, il venait de se livrer à une quelconque expérience chimique car l'air de la pièce était incroyablement empuanti et une sorte de vapeur verdâtre flottait au plafond.

L'autre personnage –le Dr Watson, sans l'ombre d'un doute– brandissait une liasse de papiers dégoulinants avec l'intention manifeste de les faire avaler à son compagnon !

- Je vous ai déjà demandé au moins mille fois de faire attention quand vous jouez à l'apprenti sorcier, Holmes. Regardez mes notes ! C'était le compte rendu de l'aventure des trois bossus bègues de Sevenoaks et sa rédaction m'a demandé une bonne partie de la semaine !

Holmes haussa les épaules.

- De toute façon, Watson, le monde n'est pas encore prêt pour cette incroyable histoire.

Les deux amis semblèrent enfin se rendre compte de la présence d'autres personnes dans la pièce.

La logeuse enguirlanda copieusement Holmes, vitupérant à propos de sa sale habitude "d'essayer de faire sauter tout le quartier", mais devant le peu d'effet de ses vociférations sur l'imperturbabilité du détective, elle redescendit en maugréant je ne sais quelles malédictions ancestrales.

Holmes me toisa des pieds à la tête.

- Veuillez excuser cette visite tardive, gentlemen, fis-je d'une voix légèrement tremblante. Mon nom est Babcock, James Olliver Babcock.

J'avais plus ou moins espéré que Sherlock Holmes manifestât quelque surprise en entendant mon patronyme mais j'en fus pour mes frais. Certes, je ne suis pas Henry Irving mais ... Soit !

Watson me jeta pourtant un regard gêné: Pour lui, du moins, mon nom évoquait quelque-chose.

- Asseyez-vous, Mr Babcock, me lança Holmes, et racontez nous cette sombre affaire qui vous empêche de dormir et de manger depuis deux jours .

J'avais beau être un lecteur assidu des récits de Watson et être au fait des singulières facultés de Sherlock Holmes, je ne pus empêcher une expression d'étonnement de se peindre sur mon visage.

- Comment pouvez-vous savoir que...

- C'est élémentaire ! Je constate également que ,bien que me connaissant de réputation, vous avez tardé à venir me consulter, ne vous décidant que sur les conseils de votre frère, barbier de son état.

Pendant cette tirade, Holmes et Watson échangeaient des regards complices. Cette façon d'accueillir le client faisait partie d'un rituel, instauré de longue date et qui les amusait fort.

- Il me semble, poursuivit le détective d'une voix condescendante, en allumant une cigarette, que nous n'échapperons pas à la corvée des explications concernant mes petites déductions.

Il poussa un soupir théâtral et se jeta sur le canapé où il se roula en boule.

- Le fait que vous n'ayez pas dormi ni mangé depuis un bon moment se distingue clairement à votre teint cireux et à vos yeux, plus cernés que Cambronne à Waterloo, si j'ose me permettre cette audacieuse image.

Watson gloussa.

Holmes lui fit un clin d'oeil.

- Poursuivons.Où en étais-je ? Ah oui, votre frère barbier.Vous êtes rasé de près, de très près même ! Or, n'ayant rien avalé de solide depuis deux jours, vous avez les mains qui tremblent.Vous ne vous êtes donc pas rasé vous même. Le soin avec lequel l'opération a été effectuée est la marque d'un professionnel. Pourtant, malgré ce soin, le barbier a entaillé un de vos favoris de manière exagérée et s'est vu obligé des les raccourcir tous les deux pour égaliser. Votre épiderme, encore plus livide qu' ailleurs aux endroits que dissimulaient les poils en est la preuve. Donc, pendant qu'il vous faisait la barbe, vous lui racontiez quelque-chose en vous agitant un peu trop ! De quoi pouviez vous l'entretenir sinon de l'importante affaire qui vous amène ici ? Et, comme il est peu probable que vous ayez livré cette histoire à un étranger, il fallait que ce barbier fut une personne très proche de vous. Ce ne peut être votre père, il est mort, comme le prouve cette chevalière frappée aux initiales A.B que vous portez et qui lui appartenait sans l'ombre d'un doute, reste votre frère. Et, comme ,le soir même, vous vous décidez à venir me consulter, j'en conclus que c'est sur son conseil.

- Holmes, vous êtes un sorcier, fit Watson mécaniquement.

J'étais abasourdi.

Certes, je n'avais jamais eu de frère, barbier ou non, mais Holmes avait tout de même remarqué que le sommeil et l'appétit m'avaient quitté et que j'étais allé me faire raser dans la journée.Il avait aussi vu la bague aux initiales de mon défunt père, Alfred Babcock.Et puis, d'un point de vue strictement théâtral, la représentation à mon profit avait été extraordinaire.

L'incident des favoris était la cause indirecte des régates d'Oxford que le barbier commentait avec animation !

Comme, malgré ces points de détail, les déductions de Holmes étaient justes, je ne le détrompais pas afin de ne point blesser son amour propre.

- Je n'irai pas par quatre chemins, Mr Holmes : quelqu'un essaye de m'assassiner !

- Pourquoi irait-on trucider un comédien ?

- Je croyais que mon nom ne vous disait rien ?

- Il reste un peu de fond de teint sur le col de votre veste.

Pas à dire ! Ce gaillard était très fort !

- Pourtant, poursuivis-je, "on" veut bel et bien me tuer. Il y a quelques instants j'ai été victime d'un attentat, juste au coin de la rue !

- J'avais remarqué, observa le détective d'une voix glaciale indiquant clairement qu'il n'avait rien remarqué du tout.

Cependant, il avait laissé tomber le masque du dandy plein de morgue et semblait prêt à m'écouter avec un réel intérêt.

Watson, quant à lui, avait sorti de sa poche un crayon et un calepin.

- Vous soupçonnez quelqu'un, Mr Babcock ?

- Je ne sais pas trop.Beaucoup de monde ! Le milieu du théâtre est un vrai réservoir de gens jaloux. Surtout quand un acteur a un peu de succès. En tout cas j'ai reçu cette lettre il y a deux jours.

Je tendis la lettre, toujours dans son enveloppe.

Holmes parut contrarié de louper un effet de scène.

- Vous avez même gardé l'enveloppe ? Bravo !

Et il se mit à examiner lettre et enveloppe.

- Hum... Les mots ont été découpés dans le Times de lundi dernier comment le prouvent les caractères utilisés ainsi que les mots "rôle" et "ennuis"

Il s'abîma dans la contemplation de l'enveloppe tandis qu'il tendait la lettre à Watson.

Ce dernier lut à voix haute les mots que je connaissais par coeur.

- "Abandonne le rôle, sinon il t'arrivera de graves ennuis, des ennuis mortels."

- Cette enveloppe a été postée...

- Au bureau de poste de Seymour Street, à deux pas de chez moi, je le sais déjà, Mr Holmes ! Mais aucun employé ne se souvient de la personne qui l'a postée.

Le détective me lança un regard chargé de haine.

Manifestement, il détestait qu'on lui coupe ses effets.

Watson semblait encore plus outragé par mon attitude envers son idole.

- De quel rôle est-il question, Mr Babcock ?

Le moment fatidique était arrivé.

Watson, qui était forcément au courant, tenta une prudente retraite mais un seul geste de Holmes le cloua sur place.

- C'est... Hum... Le rôle principal de la dernière pièce de Sir Reginald Montaigue. On est en plein dans les répétitions. La première a lieu au début du mois prochain.

- Je ne lis jamais les revues théâtrales, quel est le titre de cette pièce ? demanda le détective d'une voix lasse.

- "Les exploits de Sherlock Holmes".

Chapitre II

Holmes bondit sur ses pieds et pointa un index accusateur vers Watson.

- Judas ! Vous avez osé ? Vos calembredaines dans le "Strand" ne vous suffisaient plus ! Vous m'avez vendu aux saltimbanques ! Combien ? Combien avez-vous touché pour écrire cette pièce ?

Watson se rengorgea.

- Je n'ai rien écrit ! On ne m'a rien demandé... C'est mon agent, Arthur Conan Doyle, qui a vendu les droits à ce Montaigue sans m'en parler !

- Et vous comptiez me mettre au courant de cette infamie à la Saint Glinglin peut-être ?

Il me désigna du menton.

- Et ce matamore, vous trouvez qu'il me ressemble ? Avec ses cheveux blonds et ses épaules de déménageur !

C'en était trop !

- Vous êtes un paon, Mr Holmes ! Egoïste et suffisant ! J'étais venu pour chercher de l'aide auprès de vous, car je n'ai aucune confiance en la police officielle, pas pour assister à une ridicule scène de ménage.

Sur-ce, je quittais la pièce en claquant la porte, non sans avoir lancé une dernière flèche.

- Bien le bonjour de ma soeur ! Elle est blanchisseuse à Ramsgate et n'a jamais tenu un rasoir de sa vie ! ! !

Une fois sur le trottoir, une main se posa sur mon épaule.

Le Dr Watson m'avait emboîté le pas et me regardait d'un air penaud.

- Excusez mon vieil ami,Mr Babcock. Aucune affaire digne de lui ne s'est présentée depuis plusieurs jours et il est d'une humeur de dogue.

- Il n'avait qu'à accepter la mienne au lieu de jouer les Divas effarouchées ! ! !

- Allons, sa réaction était prévisible et je crains qu'il ne revienne pas de sitôt sur sa décision.

- Tant pis. Je me passerai de ses services !

Watson se frotta le menton d'un air songeur.

- Allez-vous au théâtre demain, Mr Babcock ?

- Oui, après-midi, pour les répétitions.

- Au Lyceum ?

- C'est cela.

- Je tâcherai d'y faire un saut. Nous pourrons peut-être mener notre propre enquête... En coulisses ! D'ici là, soyez très prudent... Tenez, voici un revolver, vous savez vous en servir ?

Mon expression ahurie lui parut sans doute blessante car il se renfrogna.

- Il y a des années que je suis le bras droit de Sherlock Holmes. Certes, je ne suis pas aussi intelligent que lui mais je suis loin d'être l'idiot que vous semblez imaginer !

Je ris de bon coeur malgré la menace qui planait sur ma tête.

- Je ne vous ai jamais cru idiot, Dr Watson, loin de là. Je vous soupçonne même de minimiser vos qualités propres dans les récits que vous consacrez à Mr Holmes.

Il rougit sous l'effet du compliment.

- Euh... Je voudrais juste savoir une petite chose Mr Babcock.Qui..Qui a été choisi pour jouer mon rôle dans le pièce de Sir Montaigue ?

- Henry Clayton, répondis-je en riant toujours. Watson se cabra comme un cheval devant un serpent à sonnette.

- Ce... Ce bouffon ?

Je comprenais la déconfiture du pauvre dr Watson.

Clayton était un excellent acteur de comédie, abonné aux maris cocus et autres personnages peu brillants. Sa silhouette rebondie, son teint rougeaud et son envahissante moustache rousse ne correspondaint en rien à l'homme brun, élégant et athlétique qui se trouvait en face de moi.

Watson tourna les talons tandis que je hélais un Cab.

****************

Je passais à nouveau une mauvaise nuit. N'aurais-je pas mieux fait d'avertir Scotland Yard ? A force de lire les récits de Watson ,je m'étais convaincu qu'il s'agissait d'une bande d'incapables mais... Ma vie était en danger, après tout !

Mais qui pouvait vouloir me tuer ?

Algernon Plumb ? Comme il était ma doublure, si je venais à disparaître c'est lui qui hériterait du rôle de Holmes. Mais ce brave Algernon était un de mes plus vieux amis et je le voyais mal ourdir pareille forfaiture.

Bob... Enfin, Robert Montaigue, le fils de Sir Reginald, comédien raté ?

Ce crétin prétentieux croyait que Jenny Carruthers, la vedette féminine de notre pièce, était amoureuse de lui !

Ca crevait pourtant les yeux qu'elle était folle de moi.

Un sourd-muet-aveugle de naissance s'en serait rendu compte !

Son père lui avait refusé le rôle de Holmes à cause de son penchant pour la bouteille ! Quand il avait joué Hamlet, l'année précédente, le public était plié en deux à force de rire !

C'étaient là tous mes suspects... A moins que ?

Je pouvais peut-être y ajouter le grand Sherlock Holmes: Il ne semblait pas ravi de me voir le personnifier sur scène !

Le lendemain, les répétitions commencèrent de manière catastrophique.

- Non ! Non, Babcock ! hurlait Sir Montaigue. Je veux d'avantage de mépris lorsque vous dites "élémentaire, mon cher Watson" !

Il nous faisait recommencer les scènes tant et plus, Clayton était assez mauvais du fait d'une gueule de bois et Montaigue fils nous honorait de sa présence en chuchotant sans cesse à l'oreille paternelle.

J'étais incroyablement nerveux car, en arrivant au théâtre avec un peu d'avance, j'avais été victime d'un nouvel attentat.

Un lourd seau de fonte avait dégringolé des cintres et m'avait manqué d'un cheveu !

Armé du revolver de Watson, je m'étais précipité là haut mais n'y avait trouvé personne.

Après ça, on peut comprendre que je n'étais pas au mieux de ma forme !

La charmante Jenny Carruthers ne semblait pas dans son assiette non plus.

Elle était plus pâle encore qu'à l'ordinaire.

Mais enfin, cela se porte, chez les comédiennes.

Les choses s'arrangèrent un peu lorsque je vis le Dr Watson arriver en claudiquant et s'installer au fond de la salle.

Chapitre III

Ce fut un fameux soulagement quand cette interminable séance de répétition s'acheva. Je rejoignis aussitôt Watson et lui fit part de mes réflexions de la nuit précédente ainsi que de la nouvelle tentative de meurtre dont j'avais fait les frais.

- Nous pourrions commencer par interroger cet Algernon Plumb, fit le bon docteur, il me parait être un suspect tout désigné.

- Justement, il n'est pas là. Il a fait dire au vieux... A Sir Montaigue, qu'il était indisposé. Un Haggis mal digéré. Ceci- dit, je suis soulagé que cette absence innocente complètement ce vieil Algernon quant à l' "incident" du seau en fonte.

- Hum, nous irons tout à l'heure jeter un coup d'oeil là haut.Peut-être un détail vous a-t'il échappé, sans vouloir vous froisser.

Manifestement, Watson prenait son rôle de substitut très au sérieux !

- Et miss Carruthers ?

Je l'avais vue s'éclipser en vitesse sitôt la répétition terminée.

- J'aimerais faire la connaissance de Sir Montague et de son fils, poursuivit Watson. Mais attention, Babcock, pas un mot sur l'affaire qui m'ammène ici !

Nous trouvâmes le père et le fils en pleine discussion: Robert essayait une fois de plus de convaincre son père de la médiocrité de ma prestation afin d'avoir le rôle pour lui.

Je les interrompis sans façons et leur présentais Watson.

Le vieux Montaigue faillit s'étrangler.

- LE docteur Watson ? Le VRAI docteur Watson ?

- C'est bien moi, fit l'intéressé. Félicitations pour votre pièce, ce que j'en ai vu est... Très... Comment dire ?

Le pauvre Watson ne s'en sortait pas, il se lissa la moustache et fixa la scène vide.

- Mais, poursuivit-il. Ce Clayton... Euh... Vous n'auriez pas quelqu'un d'autre sous la main ? Il est... Il n'est pas...

- Je vais le faire remplacer dès demain, Dr Watson ! Votre rôle sera interprêté par un acteur à la hauteur.

Le jeune Robert bomba le torse et devint écarlate.

- Moi, père ! Moi ! Je suis sûr de pouvoir rendre justice à l'honorable Dr Watson bien mieux que cet abruti de Clayton !

Watson inspecta le jeune Montaigue qui tournoyait sur lui même comme un jeune chiot essayant de se mordre la queue.

- Ma foi, vous avez ma taille et ma corpulence. Mais, quant à dire si vous êtes meilleur comédien que Clayton, comment puis-je le savoir ?

Robert poussa son avantage.

- Venez aux répétitions de demain et vous en jugerez ! N'est-ce pas, père ?

Le vieux Montaigue, pris en traître, acquiesça lourdement en fusillant sa progéniture du regard.

Robert fila en sifflotant après avoir fait une révérence grotesque.

Nous prîmes congé de Sir Montaigue pour nous diriger vers l'endroit où le seau en fonte était tombé.

- Que pensez-vous de Robert Montaigue, Dr Watson ?

- Un imbécile ! Je suis sûr qu'il sera aussi mauvais que Clayton, mais il est plus bel homme, c'est déjà ça !

- Par rapport à mon affaire, voulais-je dire.

- J'avais bien compris, Babcock. D'après sa façon de vous regarder, il est clair qu'il vous hait.

Une fois sur les lieux, Watson se mit à fureter de tous les côtés. Visiblement, il essayait de se mettre dans la peau de Holmes et je me rendis compte qu'il allait jusqu'à imiter les gestes secs de son ami.

Nous grimpâmes dans les cintres où il reprit son manège.

Un moment donné, je le vis ramasser quelque-chose et l'enfouir dans sa poche en souriant triomphalement.

Il me montra de quoi il s'agissait une fois que nous fûmes de retour en bas.

- Regardez ça, Babcock.

- Un mégot ?

- Certes, mais pas n'importe quel mégot. Voyez-vous, vivre aux côtés de Holmes a fait de moi un observateur hors du commun.

Je souris devant cette évidente et naïve vantardise.

- Pendant la répétition, Robert Montaigue est venu de temps à autres fumer au fond de la salle, malgré l'interdiction. Des cigarettes turques... Je les apprécie aussi à l'occasion, voilà pourquoi j'ai noté ce détail.

- Ce mégot aurait été jeté par Bob Montaigue ? Vous êtes un vrai Sherlock Holmes ,Watson !

Ma boutade, au lieu de le faire rire, lui fit redresser le menton .

- Venez, fit-il, allons dans un pub, nous y serons mieux pour discuter et établir un plan de campagne.

Chapitre IV

Un quart d'heure plus tard nous étions attablés devant deux pintes d'Ale, dans un coin reculé du "Black Horse".

- Ainsi, c'est bien Robert qui en veut à ma vie ?

- L'amour fait faire bien des folies, surtout s'il se double d'une jalousie professionnelle, comme c'est le cas ici. Dommage que je n'ai pas pu parler à miss Carruthers. J'ai mal compris le rôle qu'elle interprétait dans la pièce... Ce n'était pas Irene Adler, n'est-ce pas ?

- Non. Il s'agit d'un rôle imaginé par Sir Montague : une jeune fille que Sherlock Holmes sauve des griffes d'un maître-chanteur.

- Tiens donc ? Fascinant ! Et comment tout cela se termine-t'il ?

Je pris une grande respiration et me jetai à l'eau.

- Ils tombent amoureux l'un de l'autre, ils se marient et ont beaucoup d'enfants !

Watson renversa la moitié de sa bière sur son gilet.

Il semblait terrifié.

- Inutile de dire, fit-il d'une voix chevrotante, que... Qu'une certaine personne doit rester dans l'ignorance de ce... Cet heureux dénouement ! Mais parlons d'autre chose... Il nous faut tendre un piège à Robert Montaigue et je crois avoir une idée.

Il sortit son calepin et son crayon et me les tendit.

- Ecrivez sous ma dictée, Babcock :" Cher ami, Je suis prêt à vous céder le rôle sous certaines conditions. Soyez ce soir au théâtre à vingt et une heures. Nous serons tranquilles pour parler". Et vous signez.

- Ce n'est pas un peu gros comme stratagème ?

Watson balaya l'objection d'un revers de main.

- Votre vie est en danger, il faut en finir rapidement !

- Ne vaudrait-il pas mieux remettre cette affaire entre les mains de la police ?

Watson ricana.

- Le temps de tout expliquer à ces ahuris du Yard et l'affaire sera reglée depuis longtemps !

- On croirait à nouveau entendre Sherlock Holmes en personne !

- Nous allons procéder comme suit, continua Watson sans tenir compte de ma remarque narquoise.Vous vous tiendrez sur la scène, bien en vue, et dès qu'il entrera vous le hélerez. Vous avez toujours mon revolver ? Bien ! Si Montaigue se montre menaçant vous n'aurez qu'à pointer l'arme sur lui. S'il joue les innocents, faites le parler sous la menace, accusez le ouvertement d'avoir voulu vous tuer. Vous croyant seuls, il fera forcément un faux pas. Moi, je serai caché dans les coulisses et mon témoignage le perdra aux yeux de la justice.

Je pesais longuement le pour et le contre de ce plan digne d'un roman de gare.

Quel dommage que Holmes se soit montré si peu coopératif. Il aurait trouvé une façon moins tirée par les cheveux-et moins risquée pour moi-de coincer Montaigue.

Mais Watson semblait très content de son plan. C'était son enquête "à lui tout seul" et il fonçait tête baissée, comme un taureau.

Finalement, après avoir fait rire une nouvelle fois Watson en évoquant la possibilité d'une intervention du Yard, j'acceptais de jouer l'appât dans cette mauvaise pièce, avec l'espoir que ce rôle ne serait pas le dernier de ma carrière !

Au sortir de la taverne, Watson avisa un jeune garçon, manifestement un commis-boucher, et il lui donna la lettre de rendez-vous ,ainsi qu'une poignée de pièces, avec pour recommandation de la porter sans tarder à l'adresse de Bob Montaigue.

- Il nous reste deux heures et demie, Babcock. J'ai une faim de loup, pas vous ?

J'avoue que j'ai regardé Watson manger en me contentant d'assécher quelques verres de cognac pour me donner du coeur au ventre.

- Doucement, Babcock ! Il vous faut garder les idées claires, me réprimanda Watson.

A vingt heures cinquante cinq, j'étais debout sur la scène du Lycéeum, désert à cette heure. Le gardien avait été étonné de me voir, accompagné de Watson mais il me connaissait et n'avait pas posé de questions.

Watson était caché dans le trou du souffleur.

Le revolver qu'il m'avait donné était glissé dans ma poche. Malgré moi, mes doigts étreignaient nerveusement la crosse.

Soudain, une horrible pensée me vint !

Des amateurs ! Nous étions des amateurs ! Pourquoi avions-nous misé sur le fait que Montaigue entrerait par la porte, comme un brave garçon ?

Il allait sûrement arriver subrepticement, l'arme au poing, et me tirer comme un lapin !

J'allais ouvrir la bouche pour faire part de mes craintes à Watson quand un léger bruit se fit entendre.

Cela provenait des cintres.

J'aurais voulu fuir mais chacune de mes jambes pesait une tonne.

Lentement, je levais les yeux pour tenter de distinguer quelque-chose mais je ne vis rien.

C'est à cet instant qu'une des portes, au fond de la salle, s'ouvrit.

Une silhouette familière s'avança dans l'allée centrale.

- C'est quoi ce rendez-vous, James ? Vous ne pouviez pas passer chez moi ?

C'est à ce moment que je compris que quelque chose n'allait pas. Cette silhouette, cette voix... Ce n'était pas Bob Montaigue.

- C'est vous Algernon ? fis-je, abasourdi. Que diable fichez vous ici ?

- Bien sûr que c'est moi, vous attendiez qui ? Le professeur Moriarty ? Ce que je fiche ici ? Mais c'est vous qui m'avez donné rendez-vous, vieille branche ! Le rôle de Sherlock Holmes vous est monté au cerveau ou quoi ?

Je n'y comprenais plus rien ! Comment le mot destiné à Montague s'était-il retrouvé entre les mains de mon vieil ami Algernon Plumb ?

Alors je compris que le coupable n'était pas celui que l'on croyait !

Algernon Plumb s'avança vers moi d'un air menaçant.

Je pointais le revolver de Watson vers lui et le sommais de ne plus faire un pas.

- Mais enfin, James, vous êtes devenu fou ? Donnez- moi cette arme.

Je vis Watson qui s'extirpait du trou du souffleur et s'approchait doucement derrière Plumb, prêt à l'assommer.

C'est alors que retentirent les coups de feu.

Nous nous jetâmes au sol mais j'eus le temps de voir ,du coin de l'oeil, la tête d' Algernon Plumb toute ensanglantée. Une balle l'avait atteint en pleine tempe !

Un cri retentit et une sombre silhouette glissa avec une rapidité stupéfiante le long d'un des cables qui pendaient des cintres.

- Watson, hurla-t-elle, ne le laissez pas s'échapper !

Le docteur, un revolver au poing, était déja debout et se ruait vers les coulisses côté jardin d'où le coup de feu était parti.

Holmes m'aida à me relever puis se lança sur les traces de Watson.

A moitié étourdi, j'entendis des cris , suivis d' un nouveau coup de feu.

Et le silence revint.

La porte s'ouvrit et le gardien fit son apparition.

- Ca va messieurs ?

- Je... Je crois que oui, Jones. Vous pouvez faire prévenir la police, s'il vous plait ? J'en ai soupé de cette histoire.

Le gardien me regarda, puis son regard se posa sur le cadavre de Plumb et il fila sans demander son reste.

Quant à moi, la chape de plomb qui m'immobilisait depuis un long moment s'évanouit enfin et je me ruais vers l'obscurité qui avait engloutit Holmes et Watson.

Les deux hommes étaient penchés sur un corps.

- Je me suis conduit comme un imbécile , soupira Holmes en se tournant vers moi. A cause de mon imprévoyance, votre ami Algernon Plumb est mort, Mr Babcock.

- Celui-ci aussi est mort, ajouta Watson en désignant le corps étendu sur le plancher.

Je m'approchais lentement... Le cadavre était celui d' Henry Clayton !

Chapitre V

Le lendemain soir, nous nous retrouvâmes tous les trois dans le salon du 221b Baker Street. Madame Hudson avait allumé un bon feu et nous sirotions un verre de Brandy.

- Allez vous daigner nous donnez des explications, Holmes ? fulmina Watson.

Holmes s'assit en tailleur sur le canapé et alluma une pipe tellement puante que c'en était inhumain.

- Nous attendons encore quelqu'un, le pivot de toute cette affaire, et ensuite je satisferais votre légitime curiosité, chers amis.

Quelques instants plus tard, Mrs Hudson introduisit une Jenny Carruthers rougissante et mal à l'aise.

- Installez vous, miss Carruthers, fit Holmes d'une voix inhabituellement charmeuse. Et n'ayez crainte , ensemble nous allons éclaircir cette sombre affaire.

Miss Carruthers s'assit dans le fauteuil que Watson lui céda. Le brave docteur s'installa sur une chaise et sortit son calepin et son éternel crayon.

Holmes entama alors son récit sur le ton agaçant d'un maître d'école s'adressant à des élèves légèrement obtus.

- Commençons par le commencement, voulez-vous ? Hier, j'ai observé par la fenêtre la discussion entre mon ami Watson et Mr Babcock, sur le trottoir. comme Mr Babcock me faisait face et que je suis passé maître dans l'art de lire sur les lèvres, même à cette distance, j'ai vite compris que vous alliez vous fourrer dans les ennuis jusqu'au cou et que j'avais sans doute agit sottement en refusant cette affaire.

Je vis Watson se rembrunir sous l'affront, mais il n'ouvrit pas la bouche pour répliquer.

Jenny... Miss Carruthers écoutait attentivement en se tortillant les mains.

- Ce matin, poursuivit Holmes en envoyant des ronds de fumée vers le plafond, je suis allé au Lyceum et j'ai eu une longue conversation avec Smith, le portier de jour, un très brave homme... Et bavard avec ça ! Il faut dire que j'avais emporté une plate de Brandy fort à son goût. Un gardien, voyez-vous, est souvent au courant de beaucoup de choses. On ne se méfie jamais de lui, il fait partie du décor... Si j'ose dire !

Et Holmes émit le ricanement sinistre qui faisait, chez lui, office de rire.

- C'est ainsi qu'il me mis au courant des clabaudages et autres bruits de couloirs... De coulisses, pardon ! Il me parla beaucoup de vos relations avec les autres membres de la troupe, Mr Babcock: Votre amour pour miss Carruthers, ici présente(Jenny rougit de plus belle !), la rivalité qui vous opposait au jeune Montaigue à ce sujet et même la jalousie que nourrissait votre ami Plumb à votre égard. Cependant, le plus intéressant concernait Henry Clayton.

Il laissa passer un temps qui nous sembla interminable.

- C'est la traditionnelle histoire du triangle, à une variante près ! Il n'y avait pas deux hommes amoureux de la même femme, mais trois !... Une histoire de carré ou de rectangle si vous préférez ! Qui aurait deviné que ce bouffon de Clayton put éprouver des sentiments amoureux ?

Jenny restait silencieuse, tête baissée.

- Il vous a écrit des lettres enflammées n'est-ce pas, miss Carruthers ?

Cette dernière cligna des paupières en signe d'assentiment.

- En fait, notre homme n'en était pas à son coup d'essai ! Il y a cinq ans, un scandale avait déjà été étouffé. une jeune actrice allait se marier et avait reçu plusieurs lettres anonymes la menaçant des pires tourments si la noce avait lieu. Elle fit appel à Justin Case, mon collègue de l'agence de détectives "Case, Case and Case".Le coupable, nul autre que Clayton, partenaire à la scène de la demoiselle en question fut vite démasqué par mon brillant jeune collègue. Justin Case menaça Clayton de le remettre entre les mains de la police mais devant l'air pathétique de l'acteur, qui jura ses grands dieux de se tenir à carreaux, il laissa les choses en état.S'il fallait mettre en prison tous les ahuris qui envoient des lettres enflammées aux jeunes dames, il n'y aurait plus de place pour les véritables assassins ! Hélas, les récents évènements donnent tort à ce pauvre Case !

Holmes ralluma sa pipe qui s'était éteinte, volontairement eut-on dit !

- J'ai voulu vous parler de tout ça avant votre départ pour le théâtre, Watson. Mais vous aviez l'air si guilleret d'avoir VOTRE enquête pour vous tout seul que j'ai préféré agir dans l'ombre. Mauvaise idée, Algernon Plumb serait peut-être encore vivant.Reprenons le fil... Le mobile et le coupable étaient trouvés mais vous risquiez de faire des bêtises. Je décidai de vous suivre, Watson, déguisé en vieux vicaire.

- Vous étiez là tout ce temps ? S'exclama Watson.

- Vous auriez mieux fait d'avertir la police, fis-je.

- Hélas, je pensais encore avoir à faire à un amoureux transi relativement inoffensif ! Mais vous avez raison, j'ai beaucoup de torts dans cette affaire... Car mon récit n'est pas terminé.J'étais donc derrière vous sans cesse, mes amis.

- Nous n'avons rien vu !

- Je m'en doute, Watson, c'est exactement ce à quoi il faut s'attendre lorsque je piste quelqu'un ! Bref, j'ai assisté aux répétitions... Hum... Et aussi à votre enquête éclair Watson. Bien observé, le coup du mégot ! Vous avez tiré les conclusions exactes souhaitées par Clayton !

Watson grommela des paroles indistinctes.

- Je vous ai aussi accompagné au "Black Horse". - Mais oui, m'exclamai-je. je vous ai vu ! Je me suis demandé ce qu' un vicaire fabriquait dans ce genre d'endroit !

- Les vicaires n'ont jamais fait voeu de tempérance, ce me semble, rétorqua Holmes, visiblement vexé. J'ai donc entendu les détails de votre plan idiot mais audacieux, Watson .Et c'est là que j'ai commis une nouvelle erreur ! Ayant intercepté le gamin auquel vous aviez remis la lettre pour Montaigue afin de lui faire changer de cap pour qu'il la porte à Clayton, j'ai sous estimé l'adversaire. Aussitôt ce billet doux en sa possession il le remit à nouveau au gamin avec l'adresse de Plumb !

- Mais pourquoi, Plumb ? Rugit presque Watson.Jusque là, il avait tout fait pour que l'on soupçonne Robert Montaigue !

- C'est machiavélique ! Clayton a pensé que la vue de Plumb allait vous faire baisser votre garde ! Vous vous attendez à un rival en amour et c'est un viel ami qui se présente ! Un ami avec lequel vous êtes en compétition, mais un ami tout de même ! Les faits lui ont donné raison... Vous avez bel et bien baissé votre garde alors que Clayton était embusqué dans la coulisse armé d'un revolver.

- Et vous ? Vous étiez dans les cintres ? Remarquais-je.

- Oui, j'ai sottement cru que l'attaque viendrait de ce côté. Je m'y étais embusqué grâce à la complicité de Jones, tout autant amateur de Brandy que son collègue Smith ! Lorsque je compris que Clayton était dans la coulisse je me laissais glisser sur scène en hurlant un avertissement. Hélas, dans toute cette agitation c'est votre ami Plumb qui a reçu la balle qui vous était destinée, Mr Babcock !

- Hélas ? C'est gentil pour moi !

- Ne faites pas d'humour noir, vous m'avez parfaitement compris ! Clayton s'est montré beaucoup plus brillant dans cette affaire que ce que je pouvais imaginer. Déja, les lettres de menace faisant croire à une rivalité professionnelle alors qu'il s'agissait d'une banale histoire d'amour. Oui, brillant... Mais cet amour l'avait rendu fou ! Il ne fait aucun doute que Clayton se serait fait prendre, ne serait-ce du fait du témoignage de Jones l'ayant vu entrer dans le théâtre. Certes, Clayton avait acheté son silence avec quelques billets mais je doute que cela aurait suffit à faire taire ce brave homme.Quoique, je l'ai bien soudoyé pour moins que cela !

- Et mon cadavre ? Clayton l'aurait fait disparaître dans la Tamise je suppose.

Holmes sourit et joignit les extrémités de ses dogts sous son menton.

- Même pas ! Le Lyceum possède de nombreux sous-sols. Il vous aurait enterré quelque part là en dessous, tout simplement.Personne ne vous aurait jamais retrouvé !

- Mais puisque Montaigue est également amoureux de Jenny... De miss Carruthers, pourquoi s'en est-il pris à moi ?

Holmes regarda miss Carruthers, plus rouge que jamais.

- Expliquez donc ce point à Mr Babcock, mademoiselle.

Jenny prit une grande inspiration et parla d'un trait.

- Parce-qu'il savait que... Que l'amour que vous me portez est réciproque, James.

Sur le coup, ce fut moi qui rougit.

- Assez d'enfantillages, s'exclama le détective en frappant dans ses mains, filez tous les deux et offrez nous une fin similaire à celle de cette pièce stupide: Mariez vous l'un contre l'autre et faites beaucoup d'enfants ! Je vous enverrai ma note de frais pour mettre dans la corbeille de mariage !

Watson en laissa échapper son calepin qui alla choir sur le sol.

- Oui, ami Watson, j'ai suivi TOUTE votre conversation au "Black Horse" ! Une petite visite à Sir Montaigue s'impose, accompagnée peut-être d'une gentille leçon de boxe... Mais cela est une autre histoire. Je sortis discrètement au bras de Jenny et l'air de la nuit me parut délicieux.

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